J’ai lu beaucoup de texte d’écrivain sur leur propre travail. Loin de moi de penser que j’en suis un ; je crois profondément qu’entre la naissance et la mort, on tâtonne.
J’ai donc lu beaucoup de texte d’écrivain sur leur propre travail : il n’y a pas de méthode, mais des façons de faire qui ne conviennent rien qu’à soi. Pas d’absolu, à peine des tours de mains. C’est dans cet esprit que je vous livre les réflexions suivantes. A prendre, à laisser, c’est selon ce que l’on est. Appropriation d’une méthode toute personnelle afin d’être efficace dans ce qui est écrit (oser prendre une voie), et efficace dans l’acte d’écrire (acquérir sa voix).
Utilisation d’un petit carnet à spirale, 180 pages, petits carreaux – être prêt tout le temps (en l’occurrence 3 carnets à peu près remplis), n’importe où : à ne rien laisser filer.
– Organiser le carnet par partie.
– Ne pas se focaliser sur la forme, mais donner la force au fond d’exister préalablement.
– Discret, toujours sous la main : notes de lecture, références à voir, idées nécessaires qui passent par la tête : tout ce qui important et accessoire dans le but d’écrire.
– Barrer les listes existantes, pour ne rien oublier.
Une documentation équilibrée (en l’occurrence plus d’une centaine d’ouvrages, et autant d’articles) :
– Lire, écouter, s’imprégner.
– Ecueils :
- trop de documents :
- cela noie le texte et l’énergie ;
- parfois contradictoire et/ou paradoxal ;
- paralyse devant ce qui reste à acquérir, à lire, à comprendre ;
- trop peu de documents :
- risque de raconter des bêtises : la doc. limite un peu ce risque, mais ne l’annihile pas ;
- expression d’une paresse intellectuelle toujours présente, tapis dans notre ombre.
Avoir l’esprit sentinelle : définir le plus précisément possible son travail / l’objet de son travail, et être à l’aguets de ce qui se dit, de ce qui se fait, de ce qui s’écrit de près ou de loin sur cet objet, directement et indirectement.
Ne pas hésiter à prendre des chemins de traverses : travailler sur les métaphores associées à l’objet de son travail (c’est-à-dire les analyser non plus comme image mais comme réalité) pour, de proche en proche, cerner la globalité de son projet (enfin essayer).
Ne pas hésiter à se tromper, à revenir 100 fois, 1000 fois sur son ouvrage : ne pas désespérer. De toute façon tout a déjà été écrit, et mieux dit avant. C’est un fait. Alors…
Savoir s’arrêter. Histoire chinoise : un homme avait peint un serpent sur le sol tant est si bien que tous en le voyant avait peur et s’écartait. Et puis, au bout d’un certain temps, il décida d’y ajouter des pattes. Alors, les passants se moquèrent de lui.
La forme impose le fond ; le fond impose la forme. Les deux sont inextricablement liés, ils ne font qu’un. Rechercher l’un, c’est approfondir l’autre.
Pas de tabous : le texte, le texte, le texte. Ce qui est nécessaire au texte. Pas de pudeur de jeune fille. A contrario, choquer est inutile si rien ne le justifie. Le texte le texte le texte. Le reste est superfétatoire.
La sincérité n’est pas tout : en fait, on s’en fout un peu.
Le lecteur on s’en fout ? oui, et non. Non, parce que l’important est de transmettre. Lors de leur retraite annuelle, Jean-Claude Carrière et Luis Buñuel s’obligeaient à créer chacun de leur coté une histoire par jour (une anecdote, une saynète, etc.). Ils s’obligeaient également à se la raconter l’un à l’autre le soir venu – parce qu’inventer ne suffit pas, il faut aussi que l’autre puisse percevoir, ressentir… Oui, parce que sinon, Marc Levy serait le plus écrivain du monde. (Cf. note sur la forme et le fond). ‘Être sadique, essayer de faire penser le lecteur’ Ezra Pound.
Conviction : j’écris vraiment très mal, cela n’est pas naturel. ‘Ma présence est faible, et ma parole est méprisable.’ Cela aussi je le sais.
Le point d’ancrage, la base, c’est la phrase. Le reste, l’histoire, les personnages, etc. Tout est secondaire par rapport à la phrase, subordonné à la phrase, celle qu’on a devant soi, là, maintenant. Comment elle existe par rapport à la précédente, comment elle passe, comme elle actionne l’autre, la suivante, et comment elle s’achève et meurt. Parfois, la phrase a une histoire, une généalogie ; elle est une réminiscence d’anciennes lectures. « Quand il y a quelque chose à voler, je le vole… » Picasso.
Savoir s’abandonner : créer des dispositions pratiques d’écriture (tôt le matin, femmes et enfants délocalisés, etc.) Simenon faisait passer une visite médicale à l’ensemble de sa famille pour être certain de mener à bien son travail en toute quiétude pendant sa semaine d’écriture. Dont acte.
Méthode actor’s studio : « Le comédien doit faire exister son personnage, le rendant capable par différents exercices de recréer tout ce qu’il y a à recréer afin de vivre vraiment des circonstances imaginaires à travers sa mémoire affective, répondant à la question : « qu’est ce qui me motiverait pour réagir comme le rôle ? », ou d’autres pratiques comme la substitution, le geste psychologique… : l’acteur doit puiser en lui-même émotions et affects. Ce processus laisse une totale liberté à l’acteur « free will » dans le moment, et donne naissance à un jeu organique, toujours basé sur la vérité. » (Source http://fr.wikipedia.org/wiki/Actors_Studio )
Idem pour l’auteur.
A la fin, faire face dans ce sentiment – assumer sa propre médiocrité : « Se sentir toujours trop petit pour ce qu’on désire et trop grand pour ce que l’on atteint, se sentir entre ces deux alternatives sans trouver d’issue, sans connaître le moyen de terminer cet état de lutte ; voir toujours la tache inachevée, sentir l’âme inassouvie, brûlant d’un feu qui le dévore, et constater l’impuissance humaine à calmer cet embrasement intérieur, ce volcan qui bouillonne. » Marie Jaëll.
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